En France, la nouvelle est passée inaperçue dans le maelström de la fin 2015, mais elle a jeté un sacré froid, partout dans le monde, dans le milieu médical. Au cours d’un contrôle sanitaire de routine, en novembre dernier, dans un élevage industriel de porcs de la région de Shanghai, en Chine, le professeur Jian-Hua Liu, de l’université agricole de Canton, a fait une découverte alarmante: il a observé des bactéries mutantes porteuses d’un gène inconnu qu’il a baptisé MCR-1. Celui-ci permet à ces “superbactéries” de tenir tête au nec plus ultra des antibiotiques, notamment la colistine, l’”antibio” prescrit lorsque tous les autres ont échoué. Autrement dit, il n’existe plus d’antibiotique de dernier recours à l’efficacité garantie. Pire: ce gène MCR-1 se diffuse très facilement.
Les premières résistances massives remontent au début des années 1980. Mais avec cette dernière mutation, un cap particulièrement alarmant vient d’être franchi. Le risqué est, c’est vrai, réel. Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), ce péril silencieux cause déjà 700 0000 décès à travers le monde chaque année. Un phénomène que certains chercheurs nomment “panrésistance”, avec en filigrane la possibilité que des maladies graves, comme la tuberculose, échappent peu à peu à tout contrôle. Si rien n’est fait pour renverser la vapeur, l’antibiorésistance pourrait, estime l’OMS, causer la mort de 10 millions de personnes chaque année d’ici à 2050. Elle deviendrait plus meurtrière que le cancer, selon un rapport remis récemment au gouvernement britannique.
La France n’est pas à l’ abri. 13 000 personnes y meurent déjà, chaque année, victimes d’une bactérie résistante. Qui a oublié Guillaume Depardieu, terrassé en trois jours par un malheureux staphylocoque doré ? Une pneumonie, contractée en Roumanie au cours d’un tournage, l’a foudroyé malgré son rapatriement immédiat dans un hôpital français.
En Chine, lorsque le professeur Jian-Hua Liu a lancé l’alerte, organisant une série de prélèvements dans des marches et grandes surfaces de quatre provinces chinoises, la résistance microbienne s’était déjà propagée non seulement à de nombreux animaux et à des échantillons de viandes crues, mais aussi à des patients dans deux hôpitaux. Le gouvernement Chinois a depuis décrété l’interdiction de la colistine dans les élevages.
En Europe, l’Italie et la Grèce, appauvries par la crise économique, sont davantage frappés par ce phénomène que leurs voisins plus riches. Mais c’est dans les pays moins développés, tout particulièrement en Inde et en Chine, que le pire est à craindre. “Dans ces pays à faible hygiène, les gens contractent de nombreuses infections, et comme les antibiotiques coutent très peu cher, ils sont énormément prescrits. On peut aussi très facilement s’en procurer sans ordonnance. Mais c’est surtout la pollution de leurs usines de médicaments low cost qui est très préoccupante, à la fois pour les populations sur place et pour nous, étant donné la facilité avec laquelle la résistance aux antibiotiques se propage, à l’échelle mondiale”, observe Paul Ferris, représentant de SumOfUs, une petite ONG international, forte seulement d’une trentaine de permanents, a l’origine d’une formidable enquête sur le sujet publiée sur son site en juin 2015.
“UN SYSTÈME TOTALEMENT OPAQUE”
La surprescription est en cause, l’élevage industriel et ses dérives aussi. Dans ces grandes concentrations d’animaux stresses, les microbes se répandent a la vitesse de l’éclair, un risqué insupportable aux yeux des éleveurs, qui préfèrent bourrer d’antibiotiques leurs animaux. Dans plusieurs pays, notamment les Etats-Unis, ces médicaments sont même utilisés pour faire grossir les bêtes plus vite. Une pratique parfois encourage, comme en Allemagne, par des vétérinaires soucieux d’arrondir leurs revenus. “ C’est un scandale qui a fait pas mal de bruit là-bas, explique Paul Ferris. Ces vétérinaires, qui vendaient directement les antibiotiques, en retirant des revenus très importants. Un article du “Spiegel” a comparé leurs profits a ceux des trafiquants de cocaïne! Dans son étude publiée en juin 2015, SumOfUs révèle que la quasi-totalité des antibiotiques dans le monde est aujourd’hui fabriquée par des usines chinoises low cost, en toute discrétion.”
RÈGLES D’HYGIÈNE ÉLÉMENTAIRES
Ces usines contribuent aussi au fléau actuel, en déversant quantité de déchets médicamenteux dans les nappes phréatiques et les terrains environnants. Autour de ces usines, la résistance microbienne flambe chez les animaux et les habitants. L’ONG a dressé la carte de ces usines à hauts risques et appelle à une action rapide pour qu’elles soient mises hors d’état de nuire.
Peut-on attendre des géants de la pharmacie qu’ils se lancent dans la bataille et cherchent des molécules innovantes capables de barrer la route aux “superbactéries”? Rien n’est moins sûr. “Aucun antibiotique avec un nouveau mécanisme d’action n’a été développé depuis vingt ans”, dénonce le docteur Jean Carlet, qui a supervise un rapport sur l’antibiorésistance remis en septembre 2015 à la ministre de la Santé, Marisol Touraine. Les molécules les plus simples ayant déjà été découvertes, il leur faudrait, dissent ces groups, investir dans des programmes de recherches pousses et couteux pour mettre au point de nouvelles armes. Avec un écueil de taille : leur utilisation devra être limitée pour préserver leur efficacité; or qui dit usage restreint dit profits moindres.
Que faire dans ce contexte ? Commencer par appliquer des règles d’hygiène élémentaires. Deuxième piste: diminuer les prescriptions. C’est d’autant plus facile en Occident ou les conditions de vie permettent de limiter les infections et leur propagation, comme le clament aujourd’hui encore les spots de l’assurance- maladie. “ Mais rien ne sera résolu si l’on ne s’attaque pas à la production low cost et à ses conséquences: les antibiotiques sont tellement bon marche qu’on préfère les laisser en libre- service plutôt que d’offrir des conditions de vie correctes aux populations les plus pauvres. C’est un des aspects du problème qui passé sous le radar des politiques”, estime Paul Ferris. Notre chercheur gallois, Timothy Walsh, n’est guère plus optimiste :” avec le terrain gagne par les bactéries, même si l’on arrive à réduire la surprescription, il faudra plusieurs années avant de connaitre une amélioration. De nombreux chercheurs, surtout dans des start-up, travaillent sur des alternatives, mais il faut compter une dizaine d’années avant qu’un médicament puisse être mis sur le marché “
Résumé de l’OBS n. 2673 (28 – 1 – 2016) p.18 a 22