Prof. Dr. Ali Rammal
Quinze ans après « La Fin de l’Histoire » de Francis Fukuyama, de nombreux journalistes et observateurs dans le monde craignent l’approche de « La fin de l’information » ou des nouvelles.
Le citoyen submergé par la consommation de toutes sortes de contenus diffusés par des médias aux fins et desseins variés, semble incapable de distinguer le bon du mauvais, le vrai du faux, la nouvelle de la rumeur. Il est même exaspéré par « la poursuite de faits superficiels basés sur le prestige et les scandales aux dépens des intérêts de la société ».
L’appréhension augmente devant la concentration des médias et la mainmise financière sur de nombreux groupes médiatiques comprenant des institutions ramifiées dans le monde.
Avec la dépendance et la similitude excessives dans les médias, perçues comme les alliés du laxisme, la liberté et l’indépendance des médias sont menacées dans de nombreuses sociétés en déniant les régulateurs professionnels de la transmission, de la diffusion, et de l’analyse des informations qui servent l’intérêt public. Ce dernier est d’une importance primordiale car l’information constitue aujourd’hui une ressource fondamentale et une arme efficace au service des projets voulus.
Comment faire pour préserver le droit d’informer et de se renseigner face aux tentatives économiques et politiques de le séquestrer ?
Le professionnalisme libère-t-il les médias ?
La dépendance assure-t-elle un abri sûr?
Y a-t-il un juste milieu entre professionnalisme et dépendance ?
A noter de prime abord que l’information ne peut pas opérer simultanément entre les deux concepts de dépendance et de professionnalisme. La dépendance est le contraire du professionnalisme. Avec elle, l’institution médiatique se basant sur l’exactitude des nouvelles, change d’aspect et de fondements. La désinformation utilisant la rumeur et au mieux une partie infime de la nouvelle devient le point d’appui pour influencer l’opinion publique.
Le rôle primordial des médias est d’informer les individus sur leurs préoccupations sociales, économiques et politiques dans un monde qui tend à la centralisation et à la lutte des intérêts, ce qui pousse les médias à augmenter le recours à la propagande dans leurs programmes au bénéfice de certains intérêts liés à des projets stratégiques conflictuels.
Ainsi l’information devient directement ou indirectement subordonnée et liée à des politiques d’information très souvent incompatibles avec les politiques nationales.
Les principaux aspects de cette dépendance sont :
Dépendance liée à des sources d’information de certains gouvernements et grandes compagnies.
1- La taille et la richesse du propriétaire en plus de la centralisation et orientation des intérêts des institutions dominantes.
De nombreux centres d’observation des divers médias craignent la concentration des médias aux mains de certains groupes financiers ou individus, ce qui menace leur indépendance, surtout avec l’augmentation des grands holdings médiatiques à l’étranger qui supervisent des institutions médiatiques internes. Ils sont d’habitude aux mains de personnes riches (Murdock, Berlusconi..) ou de sociétés multinationales qui ont leurs propres objectifs et stratégies liés à leurs intérêts (phénomène qui s’est nettement accru).
Par ailleurs, de nombreux médias sont devenus partie intégrale des principaux projets de personnes au pouvoir, ce qui pousse les employés à adapter leur méthode de travail aux exigences du projet (chercher à nuire à l’adversaire politique au moyen de scandales ou d’interprétations insidieuses de ses déclarations), sans oublier la dépendance financière pour dominer de nombreux médias ou leurs employés.
2- Les publicités comme principale source financière pour de nombreux médias dans le secteur privé.
D’abord, il faut signaler que les institutions publicitaires ne sont pas des associations de bienfaisance. Elles ont une politique publicitaire claire ou camouflée liée à des projets politiques et économiques. Plusieurs d’entre elles refusent d’appuyer des médias d’une tendance idéologique adverse ou qui pourraient menacer leurs intérêts vitaux.
Le résultat de ce comportement volontaire ou par coercition, constitue l’apprivoisement de la matière médiatique.
La politique médiatique est l’expression des politiques économique et extérieure selon la fameuse règle « qui monopolise l’économie ou la dirige, monopolise l’information ou la dirige ; et qui libère l’économie, libère l’information »
3- Dépendance liée à des sources d’information de certains gouvernements et grandes compagnies.
Beaucoup de médias recourent à divers services d’information sans possibilité de vérification par manque de moyens financiers, d’où filtrations et rumeurs. C’est le cas en adoptant les traductions des agences de presse étrangères.
Les agences de presse occidentales continuent d’exercer leur influence sur l’information arabe à cause de l’incapacité des états arabes d’établir une agence de presse arabe égalant les cinq agences qui dominent les sources d’information dans le monde.
4- Les obstacles comme moyens punitifs disciplinaires pour contenir les médias.
Les obstacles visant à dominer les médias sont nombreux à commencer par les lois, en passant par l’argent et finir avec la technologie.
Les nécessités de survie économique ont augmenté les types de pression sur les institutions médiatiques pour limiter leurs activités et changer leurs politiques. L’interdiction de certains médias de diffuser par satellites en Europe et en Amérique est la preuve la plus éclatante des pressions technologiques exercées sur les médias « insubordonnés » dont les politiques ne sont pas compatibles avec les politiques internationales prévalentes.
Néanmoins, il est possible de diffuser par Internet où des batailles ont lieu entre les sites électroniques « pour » et « contre » les points de vue soumis.
Taxer certains médias de terrorisme, touche le personnel également, ce qui représente une nouvelle forme de pression.
5- La neutralité comme moyen d’esquiver de nombreux engagements.
De nombreux médias dans le monde arabe recourent à la neutralité comme équivalent du concept de néo-libéralisme. Mais cela mène à confondre neutralité avec objectivité qui est une nécessité professionnelle. Ce sont deux choses différentes.
La neutralité est contraire à la première base de l’information en tant que miroir de la société exprimant ses problèmes et défendant ses intérêts. Elle est donc impossible, et peut constituer une trahison en ce qui concerne les droits nationaux légitimes. Y a-t-il neutralité entre le vrai et le faux ? Entre le bien et le mal ?
Par contre, l’objectivité est une nécessité professionnelle visant à transmettre les faits avec précision. Elle est une intégrité professionnelle, alors que la neutralité est évasion et manquement au devoir national.
Sous l’angle du professionnalisme entre permis et interdit, signalons que les lois et pactes d’honneur régissent le professionnalisme dans un cadre légal garantissant la liberté de l’information et du citoyen.
A ce propos, quatre conditions principales sont requises:
1- L’objectivité : s’appuyant sur les données, l’analyse, l’enquête et les dialogues. Toutes les recherches ont établi qu’il n’y a pas d’objectivité pure dans l’information. Le moi se reflète toujours sur la nouvelle.
2- La crédibilité : d’importance capitale surtout en formulant les titres et les introductions des nouvelles télévisées. Elle doit prémunir contre les infiltrations.
3- L’engagement : toujours avec les causes nationales.
4- L’équilibre : transmission des diverses opinions qu’elles soient partisanes ou d’opposition.
Rammal conclut que l’information en tant que force est sujette à la corruption et aux abus de l’exploitation du fait des données et secrets qui parviennent au journaliste.
De toutes manières, il ne faut pas prendre la défense de la liberté, de l’indépendance de l’information et de la pluralité de son rôle comme paravent pour servir les intérêts de certains investissements et certaines personnes ou groupes